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Pourquoi de telles interrogations ?

La banque d’Irlande lance un appel à contributions (pour le 15 novembre 2023) pour l’adoption d’une politique macro prudentielle pour la régulation des fonds. Elle indique : “Le secteur des fonds est diversifié, avec différents types de cohortes de fonds présentant différents profils de risque systémique. Cela doit être pris en compte dans toute évaluation des risques systémiques ainsi que dans les délibérations politiques. Dans l’ensemble, à mesure que le secteur des fonds a continué de croître et s’est intégré davantage au fonctionnement plus large de plusieurs marchés financiers clés, le cadre réglementaire doit évoluer. Le cadre réglementaire actuel du secteur des fonds – qui a été largement conçu autour de la protection des investisseurs – aide à traiter certains éléments spécifiques aux fonds qui peuvent contribuer au risque systémique. Cependant, comme en témoignent les épisodes récents, le cadre actuel n’a pas été suffisant pour réduire la propension de certaines cohortes de fonds à amplifier les chocs en période de stress. Une perspective macro prudentielle est donc nécessaire dans la régulation du secteur des fonds.

Pourquoi de telles interrogations ?
Pourquoi de telles inquiétudes ?

Mais aussi, pourquoi la Banque d’Irlande lance-t-elle ce sujet ?

Dans le document qui explicite son appel à contribution, la Banque centrale décrit bien que l’Irlande est une des localisations des plus importantes pour les INFB (institutions financière non bancaires) et plus spécialement pour les fonds d’investissement de toutes natures. Toutefois, plus qu’une place financière importante, dotée de gestionnaires et d’équipes d’analystes nombreuses et habiles, on parlerait davantage pour l’Irlande de plateforme. Cela signifie que les fonds d’investissement en question sont juridiquement enregistrés en Irlande, régulés par les autorités de marché irlandaises, mais sont gérés en dehors d’Irlande et n’ont que peu de rapports avec l’économie irlandaise. Sans l’expliciter d’ailleurs vraiment, la Banque d’Irlande le reconnait : “Les liens du secteur irlandais des fonds avec l’économie réelle nationale sont relativement faibles par rapport à la taille du secteur, mais ils ont augmenté et sont particulièrement pertinents sur le marché irlandais de l’immobilier commercial (CRE)”.

Par ailleurs, bien que décrivant au départ le sujet plus global des IFNB, la Banque d’Irlande a concentré son propos sur les fonds d’investissements qui cumulent 80% des 6 300 Milliards € d’IFNB gérés en Irlande, dont 700 Mds € de fonds monétaires (MMF), 900 Mds€ d’ETF (2/3 des encours de la zone euro). On comprend donc sa préoccupation, face à ces chiffres le PIB de l’Irlande se monte à environ 500 Mds, dont près de 50% est constitué de façon conventionnelle par les exportations d’entreprises localisées en Irlande pour des motifs fiscaux.

Pourquoi de tels encours de fonds d’investissement gérés en Irlande ?

L’Irlande est ainsi la 2ème plate forme pour la gestion de fonds d’investissement en Europe derrière le Luxembourg, mais en très forte croissance depuis 2008. Certes, il y a longtemps que l’Irlande a développé des capacités d’accueil de fonds gérés par des tiers, soit en domiciliation, soit en sous-traitance, notamment pour des gestions localisées à Londres. Et, il semble logique que, Brexit oblige, pour les clientèles de la zone euro la localisation de fonds en Irlande antérieurement localisés juridiquement en Grande Bretagne a dû contribuer à cette croissance.

Mais on reste interloqué par la démarche de la Banque centrale.

En effet, la Banque d’Irlande cherche des solutions de type macro-prudentiel (?) pour répondre à des problèmes apparemment globaux et que l’on qualifierait alors de problématiques de marché. La Banque centrale aborde ainsi les sujets de liquidité, d’asymétrie d’information, de défauts massifs type ABS en 2008, les effets de la transformation de créances détenues, les conséquences des leviers financiers éventuellement contractés par les fonds etc. On remarquera au passage que, curieusement, elle n’évoque pas la procyclicité pourtant si commentée dans les années après 2008 par les autorités de toute natures, autrement qu’en signalant qu’un risque systémique dépend d’une action collective, d’entités ou d’acteurs “interconnectés”.

Mais le plus étonnant c’est que la banque centrale d’Irlande n’aborde jamais la nature des fonds, ni celle des porteurs de parts de ces fonds et de leurs motivations. Or, ce devrait être la première des démarches que de se poser et de répondre à des questions telles que le marchés des fonds d’investissement est-il un vrai marché, y a-t-il des concentrations de fonds ou d’investisseurs, quels sont les types de fonds les plus susceptibles de créer ou de subir des dysfonctionnements dans un cadre systémique etc.

Or, des réponses à ces questions peuvent être trouvées en se référant au dernier rapport de l’ESMA sur les fonds monétaires en Zone euro, paru en février 2023 / ESMA50-165-2391 ESMA Market Report on EU MMF market 2023.

De fait comme le rappelle l’ESMA dans l’introduction de son étude et ce, à juste titre, le rôle des fonds monétaires (MMF) est essentiel dans les crises.

Dans ce secteur les réactions des investisseurs sont les plus vives et les problèmes de blocage se posent très vite les montants gérés sont de l’ordre de 1 450 Mds €

Or que relève l’ESMA : les MMF sont un marché très concentré :

  • Les MMF avec 1 460 Mds € sont gérés au travers de 479 fonds par 124 gérants.”
  • “Les 20 plus grands OPCVM monétaires de chaque type (CNAV, LVNAV, VNAV) (1) soit 17 % des OPCVM monétaires agréés, détiennent près de 80 % du total des actifs”.
  • Pour les CNAV (170Mds €,) 30 fonds gérés par 18 gestionnaires, essentiellement gérés en Irlande et au Luxembourg.”
  • “Pour les LVNAV, (675 Mds€ ) 84 fonds gérés par 26 gestionnaires essentiellement gérés en Irlande et au Luxembourg.”
  • “Les autres fonds VNAV sont gérés principalement en France.”
  • 54% du total MMF en actifs (790 Mds€) sont en devise non-euro : 32 % USD, 22% en GBP, exclusivement gérés en Irlande et au Luxembourg “.

On touche ainsi du doigt un des principaux lieux de fragilité du système de gestion des fonds d’investissement.

Les MMF gérés en zone euro sont en majorité des fonds en devises .

Et pour aggraver le constat, ces encours sont principalement géré sous les deux formules de MMF qui posent le plus de difficultés, les CNAV et LVNAV car les plus sensibles aux chocs de liquidité et de valorisation,

La question qui vient alors est celle des porteurs de parts de ces MMF particuliers : CNAV et LVNAV. L’ESMA donne des réponses : en quasi totalité ce sont des investisseurs professionnels principalement non-européens (89% des CNAV irlandais, 81% des CNV luxembourgeois) à comparer aux 6% des non-européens détenteurs des MMF gérés en France…

et détenus par des non-européens. Etonnant ! non ? :

Mais la BCE (et la Banque centrale d’Irlande)  n’est pas la FED ni la BOE ! Alors il est vrai comment surveiller les gérants, les titres, les émetteurs ? Comment fournir éventuellement de la liquidité en USD, ou en GBP etc.

C’est vrai, on comprend alors mieux le souci de la Banque d’Irlande, certes prévenir les difficultés en élargissant le champ des dispositifs mais ne veut-elle pas aussi élargir le cercle des responsables d’éventuels dysfonctionnements. Toutefois est-ce la bonne démarche ? On connait la suite : appel à contribution, discussion d’experts, forum etc. . Tout cette démarche produira encore plus de complexification, et plus de concentration ?

Or, il est connu que ces montants gérés pour des entités non européenne sont la contrepartie pour une large part de la trésorerie en USD non rapatriée des grands groupes américains, ou en GBP pour des groupes internationaux. (cf. statistiques US)

On pourra en matière de conclusion poser ces quelques questions, peut-être un peu naïves :

  • pourquoi maintenir de tels encours dans cette sorte d’enclave d’intérêts US libellés en USD au sein de la zone EURO ?
  • Pourquoi, après une certaine réduction en 2017-1018 (2), malgré la fin du régime fiscal favorable US , les encours ne baissent-ils pas davantage ?
  • Pourquoi ne pas répondre d’abord aux questions précédentes au lieu de faire un nième dispositif réglementaire ?

(1) CNAV valeur liquidative constante : transaction à cours connu , LVNAN valeur liquidative à faible volatilité, transactions à cours quasi connue, VNAN valeur liquidative variable, transaction sur cours inconnu.

(2) Abolition fin 2017 des régimes fiscaux très critiqués dans les négociations internationale : le foreign sales corporation (FSC) et l’extraterritorial income exclusion (ETI) et leurs remplacements par une taxe la BEAT (base erosion and anti-abuse tax) , et une incitation à localiser les brevets aux Etats-Unis le régime global low-taxed intangible income (GILTI) 

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