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Inflation : le plaidoyer de l’économiste Olivier Blanchard pour relever l’objectif des Banques centrales à 3 % => Pas d’accord.

L’inquiétude du célèbre économiste [Olivier Blanchard) est que pour tenir cet objectif [de 2%], il va falloir matraquer le marché du travail . « Dans la lutte contre l’inflation, franchir la dernière marche, par exemple descendre rapidement de 4 % à 2 %, risque d’être difficile, de nécessiter un ralentissement substantiel de l’activité, en Europe comme aux Etats-Unis », souligne-t-il. D’où sa recommandation de le faire en douceur, voire… pas du tout, en modifiant l’objectif pour stabiliser l’inflation à 3 %.” in Les Echos article de Sébastien Dumoulin https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/inflation-le-plaidoyer-de-leconomiste-olivier-blanchard-pour-relever-lobjectif-a-3-1958170#

Cet avis exprimé par une personnalité reconnue du système financier, je suis au regret de dire que je ne le partage pas (1).

Sur la forme :

les sciences monétaires et économiques ne permettent pas de définir des voies et moyens pour piloter des économies de façon suffisamment précise pour que le choix de 2% ou de 3% comme cible d’inflation soit un enjeu technique pertinent. En juillet 2017, Mme Janet Yellen qui présidait alors la Federal Reserve (Fed) le reconnaissait et dans son discours du 26 septembre 2017 à Cleveland (2), elle explique très bien la complexité pour véritablement expliciter l’évolution passée de l’inflation, ce qui vaut bien sûr pour l’anticiper.

Sur le fond :

si Olivier Blanchard veut dire que la Fed ne doit pas trop se préoccuper de l’inflation, que signifie alors l’objectif statutaire de la Fed, pourtant invoqué par de nombreux commentateurs : la stabilité monétaire ? De plus, n‘est ce pas dangereux, au moment même où la Chine se place en concurrent des Etats-Unis y compris sur le plan monétaire de risquer de paraître ainsi laxiste sur le maintien de la valeur du dollar ?

Certes, Olivier Blanchard a le souci de l’activité économique, mais, de mon point de vue, il se focalise trop sur les seuls taux directeurs et n’intègre pas dans son analyse la politique quantitative suivie par la Fed ou la BCE, pas plus que les politiques budgétaires décidées par les états.

Or, à la lumière des évènements récents, force est de constater que les hausses des taux directeurs ne combattent pas, de façon substantielle et incontestable, l’inflation dont les évolutions peuvent être expliquées par d’autres phénomènes. Ce qui, paradoxalement, justifie pour certain le constat de l’inutilité des hausses de taux directeurs et par voie de conséquence sur la dangerosité de ces décisions au regard des effets potentiels, disent-ils dévastateurs sur l’économie !

Toutefois il est probable que la toujours actuelle hyperliquidité mondiale et les politiques budgétaires freinent et diffèrent l’action théoriquement dépressive des hausses de taux directeurs dans de fortes proportions.

On pourrait dire de façon schématique qu’actuellement :

l’effet liquidité prime sur l’effet taux, pour le pilotage macroéconomique du niveau de l’activité.

En revanche, et c’est, me semble-t-il, le principal avantage collectif du retour à des niveaux nominaux significatifs (les taux réels restent négatifs, notamment en zone Euro), en ayant pris ces décisions de hausses de taux directeurs les Banques centrales commencent à redonner aux taux d’intérêt leur rôle de révélateurs des situations malsaines du point de vue de l’endettement, que les politiques dites non conventionnelles leur avaient fait perdre.

De fait, depuis plusieurs mois des entités très exposées à la dette tombent les unes après les autres, sans qu’un ralentissement économique significatif ait été observé. On sera donc tenté d’y voir moins l’effet des hausses de taux directeurs et plus l’effet de structures financières délibérément, et on pourrait ajouter abusivement, très risquées pour profiter des conditions de financement très (trop) avantageuses.

Ainsi :

#Acte 1: Les banques aux gestions actif/passif imprudentes : SVB…

#Acte 2 : Les utilities/services publics aux endettements excessifs (exemple Thames Water, ou ORPEA…)

#Acte 3 : Les holdings trop endettés (exemple Casino et …

#Acte 4 …..à suivre (les candidats sont encore nombreux )

Or les Banques centrales, ont veillé et veillent à casser d’éventuels effets dominos en corrigeant de façon raisonnée les effets les plus néfastes des hausses.

Ce qu’elles ont fait jusqu’ici.

On peut donc interpréter l’action des Banques Centrales, outre l’impact éventuel sur l’inflation, comme étant une réelle et saine tentative de remettre en route le dispositif régulateur cher aux économistes libéraux (Von Mises, Friedmann…) au cœur du système économique.

On ne peut que saluer et approuver cette tentative.

En effet, arrêter trop longtemps les dispositifs régulateurs “qui permettent le calcul économique” et donc, dans la plupart des cas permettent de qualifier des choix, revient à installer une pente sur laquelle les économies glissent vers un dispositif économicopolitique de plus en plus administré pour décider des investissements.

Or l’Histoire a montré toutes les limites de ces organisations pour la prospérité et le bien-être du plus grand nombre.

Evitons donc de réitérer ces erreurs du passé, même si le chemin qui y conduit est apparemment pragmatique et non plus idéologique.


  1. Pas plus que Stephen King (Financial Times du 7 juillet 2023) in https://www.ft.com/content/a6cbb98e-e890-4cfd-9a86-2f5ddc30811f : “Les objectifs d’inflation ne sont pas censés être de simples amis du beau temps. Ils servent à tout moment à réduire les redistributions arbitraires et antidémocratiques des revenus et des richesses et les formes furtives de taxation «cachée», que les monarques, les despotes, les autocrates et, oui, les gouvernements démocratiquement élus ont, via la presse écrite, exploités. Bien qu’il n’y ait rien de mal à débattre du « nombre » cible correct, choisir de relever les objectifs lorsque l’inflation a constamment surpris à la hausse ne relève que de l’opportunisme politique à court terme – précisément ce que l’indépendance de la banque centrale était censée éviter.”
  2. Cf. Inflation, Uncertainty, and Monetary Policy, https://www.federalreserve.gov/newsevents/speech/yellen20170926a.htm

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