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Trump, pourquoi tant de haine ?

Cette chronique a été publiée dans le journal Les Echos du 18 et 19 avril 2025 dans la rubrique Idées page 9

Le « Liberation Day » a affolé les marchés. Pourtant, ces décisions qualifiées d’absurdes combattent deux méfaits : l’optimisation fiscale des grandes firmes transnationales américaines, et la désindustrialisation et les déséquilibres commerciaux massifs, surtout entre les Etats-Unis et l’Asie.

Optimisation fiscale : les profits réalisés à l’extérieur des Etats-Unis ont bénéficié d’exemptions et de la mansuétude de pays comme l’Irlande. Le président Trump comptait sur le Tax Cuts and Jobs Act (2017) pour réduire les profits non taxés et en faire revenir environ 2.800 milliards de dollars. Hélas, il fut déçu. Les tarifs permettront de taxer le flux des produits, même si les profits échappent à l’impôt sur les sociétés.

Désindustrialisation : plusieurs hauts dirigeants américains – Stephen Miran, Scott Bessent comme beaucoup d’autres, de même des économistes comme Michael McNair, cité tout récemment dans le « Financial Times » – voient la désindustrialisation et ses destructions sociales ainsi que la perte relative de puissance des Etats-Unis comme des conséquences néfastes de l’utilisation du dollar comme monnaie de réserve mondiale.

Stephen Miran qualifie la situation de « monde de Triffin » car Robert Triffin, dans les années 1950, relevait les contradictions de l’ordre monétaire de Bretton Woods et la surévaluation systématique du dollar. Or cet état de fait s’est prolongé même après l’arrêt de la convertibilité du dollar en or en 1971 et la fin officielle de Bretton Woods. Cette décision supprimait seulement une contrainte concourant à plafonner de facto l’endettement global des Etats Unis. La levée de cette contrainte a, au contraire, permis au dispositif de durer grâce à une progression continuelle de la dette et la mise en place d’activités transfrontalières déconnectées de l’économie productive américaine.

Michael McNair, de son côté, inverse la causalité entre déficit et entrée de capitaux : ce sont les entrées de capitaux qui causent les déficits et non l’inverse. Car, contrairement aux diverses remarques sur la destination de « l’épargne », pour les pays exportateurs, investir aux Etats-Unis n’est pas un choix mais une conséquence logique des excédents commerciaux dans l’ordre monétaire créé par le système monétaire international (SMI) actuel.

McNair aurait pu compléter en expliquant que la stabilité des déficits commerciaux était due à l’abandon implicite de la régulation des échanges internationaux par le SMI lorsque fut acceptée une quasi-fixation des changes par accumulation de devises en compte de capital dans les banques centrales, qui alimentent ensuite des fonds souverains contrôlés par les Etats exportateurs. Logiquement, ces constats devraient motiver des mesures réduisant la libre circulation des capitaux et une réduction de la capacité des Etats à stocker des devises étrangères dans leurs banques centrales.

Aujourd’hui, les Etats-Unis sont piégés dans les conséquences d’un usage trop long du privilège exorbitant du dollar. La situation est inextricable. Aucune décision prise isolément ne peut permettre d’atteindre les différents objectifs affichés par l’administration Trump tant ils sont contradictoires : une classe moyenne riche, un dollar fort, des déficits publics et commerciaux réduits, une industrie regonflée, une Chine contenue, etc. Toutes les solutions choquent et sont critiquables, surtout si la référence est le dispositif économique global actuel. Mais la politique a pris les commandes. Le rapport de force est le levier pour transformer, alors que longtemps on a cru l’avoir fait disparaître avec des accords présentés comme scientifiquement justifiés.

Dorénavant, le président Trump n’est plus dans la logique du « deal maker », il est dans la situation de l’entrepreneur qui sort des cadres habituels pour atteindre un objectif face à un futur incertain : il s’engage et il verra, pour reprendre la formule de Napoléon. Il décide et il ajustera au vu des résultats. Gageons donc que toutes les mesures évoquées ici feront l’actualité dans les mois prochains.

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