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Réformer le système monétaire international

Le texte suivant, daté du 23 mars 2009 , a été rédigé par le Dr Zhou Xiaochuan, alors Gouverneur de la Banque populaire de Chine (BPC) [1]. Il appelait à une réforme du système international en proposant les DTS gérés par le FMI comme monnaie internationale pour remplacer le dollar.

Il est intéressant de connaître les idées des chinois sur cette question cruciale dans ces temps bouleversés. Des commentateurs ont en effet pointé le risque pris par les Etats-Unis sur le rôle du dollar compte tenu de l’ampleur des sanctions économiques décidées à l’encontre de la Russie et notamment les blocages de réserves de change, ainsi que l’éviction du réseau Swift de banques russes. Mais aussi compte tenu de la forte inflation que subit actuellement le dollar et donc la monnaie internationale.

Nous avons indiqué en note les évolutions majeures sur ce sujet depuis cette date : l’introduction de la monnaie chinoise dans le panier des DTS début 2016, ainsi qu’en juillet 2021 la multiplication par 2,5 fois du montant des DTS.

L’éclatement de la crise actuelle[2] et ses répercussions dans le monde nous ont confrontés à une question qui se pose depuis longtemps mais qui reste sans réponse, à savoir : de quel type de monnaie de réserve internationale avons-nous besoin pour garantir la stabilité financière mondiale et faciliter la croissance économique mondiale, ce qui était l’un des objectifs de la création du FMI ?

Diverses dispositions institutionnelles ont été prises pour tenter de trouver une solution, notamment l’étalon-argent, l’étalon-or, l’étalon de change-or et le système de Bretton Woods. Toutefois, comme le démontre la crise financière actuelle, la question ci-dessus est loin d’être résolue et s’est même aggravée en raison des faiblesses inhérentes au système monétaire international actuel.

Théoriquement, une monnaie de réserve internationale devrait d’abord être ancrée à un point de référence stable et émise selon un ensemble de règles claires, afin d’assurer une offre ordonnée ; ensuite, son offre devrait être suffisamment flexible pour permettre un ajustement opportun en fonction de l’évolution de la demande ; enfin, ces ajustements devraient être déconnectés des conditions économiques et des intérêts souverains d’un seul pays.

L’acceptation de monnaies nationales basées sur le crédit comme principales monnaies de réserve internationales, comme c’est le cas dans le système actuel, est un cas particulier rare dans l’histoire. La crise appelle une fois de plus à une réforme créative du système monétaire international existant en faveur d’une monnaie de réserve internationale à la valeur stable, à l’émission réglementée et à l’offre gérable, afin d’atteindre l’objectif de sauvegarde de la stabilité économique et financière mondiale.

L’éclatement de la crise et sa propagation au monde entier reflètent les vulnérabilités et les risques systémiques inhérents au système monétaire international existant. 

Les pays émetteurs de monnaies de réserve sont constamment confrontés au dilemme suivant : atteindre les objectifs de leur politique monétaire nationale et répondre à la demande de monnaies de réserve des autres pays. D’une part, les autorités monétaires ne peuvent pas se contenter de se concentrer sur les objectifs nationaux sans assumer leurs responsabilités internationales ; d’autre part, elles ne peuvent pas poursuivre simultanément des objectifs nationaux et internationaux différents.

Elles risquent soit de ne pas répondre adéquatement à la demande de liquidités d’une économie mondiale en pleine croissance alors qu’elles tentent d’atténuer les pressions inflationnistes au niveau national, soit de créer un excès de liquidités sur les marchés mondiaux en stimulant excessivement la demande intérieure.

Le « dilemme de Triffin[3] », à savoir que les pays émetteurs de monnaies de réserve ne peuvent pas maintenir la valeur de ces monnaies tout en fournissant des liquidités au monde, existe toujours.

Lorsqu’une monnaie nationale est utilisée pour fixer le prix des produits de base, les règlements commerciaux et qu’elle est adoptée comme monnaie de réserve au niveau mondial, les efforts de l’autorité monétaire émettrice de cette monnaie pour remédier à ses propres déséquilibres économiques en ajustant le taux de change seraient vains, car sa monnaie sert de référence à de nombreuses autres devises.

Tout en bénéficiant d’une monnaie de réserve largement acceptée, la mondialisation souffre également des défauts d’un tel système.

La fréquence et l’intensité croissante des crises financières qui ont suivi l’effondrement du système de Bretton Woods laissent penser que les coûts d’un tel système pour le monde ont peut-être dépassé ses avantages. Le prix à payer est de plus en plus élevé, non seulement pour les utilisateurs, mais aussi pour les émetteurs des monnaies de réserve.  

Bien que la crise ne soit pas nécessairement le résultat voulu par les autorités émettrices, elle est une conséquence inévitable des failles institutionnelles.

L’objectif souhaitable de la réforme du système monétaire international est donc de créer une monnaie de réserve internationale déconnectée des nations individuelles et capable de rester stable à long terme, éliminant ainsi les déficiences inhérentes à l’utilisation de monnaies nationales basées sur le crédit. 
  • Bien que la monnaie de réserve super-souveraine ait été proposée depuis longtemps, aucun progrès substantiel n’a été réalisé à ce jour. Dans les années 1940, Keynes avait déjà proposé d’introduire une unité monétaire internationale appelée “Bancor”, basée sur la valeur de 30 produits représentatifs. Malheureusement, cette proposition n’a pas été acceptée. L’effondrement du système de Bretton Woods, qui reposait sur l’approche de White[4], indique que l’approche keynésienne était peut-être plus prévoyante. Le FMI a également créé le DTS en 1969, lorsque les défauts du système de Bretton Woods sont apparus, pour atténuer les risques inhérents aux monnaies de réserve souveraines. Pourtant, le rôle du DTS n’a pas été pleinement mis à profit en raison des limitations de son allocation et de la portée de ses utilisations. Cependant, il sert de lumière dans le tunnel pour la réforme du système monétaire international.
  • Une monnaie de réserve super-souveraine élimine non seulement les risques inhérents à une monnaie souveraine basée sur le crédit, mais permet également de gérer la liquidité mondiale. Une monnaie de réserve super-souveraine gérée par une institution mondiale pourrait être utilisée à la fois pour créer et contrôler la liquidité mondiale. Et lorsque la monnaie d’un pays ne sera plus utilisée comme étalon pour le commerce mondial et comme référence pour les autres monnaies, la politique de change du pays sera beaucoup plus efficace pour ajuster les déséquilibres économiques. Cela réduira considérablement les risques d’une future crise et améliorera la capacité de gestion des crises.
La réforme devrait être guidée par une grande vision et commencer par des résultats concrets. Il doit s’agir d’un processus progressif qui produira des résultats bénéfiques pour tous.

À court terme, la communauté internationale, en particulier le FMI, devrait au moins reconnaître et affronter les risques résultant du système existant, effectuer un suivi et une évaluation réguliers et émettre des alertes rapides en temps opportun.

Une attention particulière devrait être accordée à l’octroi d’un rôle plus important au DTS.

Le DTS a les caractéristiques et le potentiel pour agir comme une monnaie de réserve super- souveraine. En outre, une augmentation de l’allocation de DTS aiderait le Fonds à faire face à son problème de ressources et aux difficultés de la réforme de la voix et de la représentation.

 Par conséquent, des efforts doivent être faits pour faire avancer l’allocation de DTS. Cela nécessitera une coopération politique entre les pays membres.

Plus précisément, le quatrième amendement aux Statuts et la résolution pertinente sur l’allocation de DTS proposée en 1997 devraient être approuvés dès que possible afin que les membres ayant adhéré au Fonds après 1981 puissent également partager les avantages du DTS. Sur cette base, on pourrait envisager d’augmenter encore l’allocation de DTS.

Le champ d’utilisation du DTS devrait être élargi, afin de lui permettre de satisfaire pleinement la demande des pays membres en matière de monnaie de réserve :

  • Mettre en place un système de règlement entre le DTS et les autres monnaies. Ainsi, le DTS, qui n’est aujourd’hui utilisé qu’entre gouvernements et institutions internationales, pourrait devenir un moyen de paiement largement accepté dans le commerce international et les transactions financières.
  • Promouvoir activement l’utilisation du DTS dans le commerce international, la fixation des prix des matières premières, les investissements et la comptabilité des entreprises. Cela permettra de renforcer le rôle du DTS et de réduire efficacement la fluctuation des prix des actifs libellés en monnaies nationales et les risques qui y sont liés.
  • Créer des actifs financiers libellés en DTS pour accroître son attrait. L’introduction de titres libellés en DTS, qui est étudiée par le FMI, sera un bon début.
  • Améliorer encore l’évaluation et l’allocation du DTS. Le panier de monnaies servant de base à l’évaluation du DTS devrait être élargi pour inclure les monnaies de toutes les grandes économies, et le PIB pourrait également être inclus comme pondération[5]. L’allocation du DTS peut passer d’un système purement fondé sur le calcul à un système adossé à des actifs réels, comme un pool de réserve, afin de renforcer la confiance du marché dans sa valeur.
Confier une partie des réserves des pays membres à la gestion centralisée du FMI permettra non seulement d’améliorer la capacité de la communauté internationale à faire face à la crise et à maintenir la stabilité du système monétaire et financier international, mais aussi de renforcer considérablement le rôle du DTS.
  • Par rapport à la gestion séparée des réserves par les différents pays, la gestion centralisée d’une partie de la réserve mondiale par une institution internationale digne de confiance, avec un rendement raisonnable pour encourager la participation, sera plus efficace pour dissuader la spéculation et stabiliser les marchés financiers. Les pays participants peuvent également conserver une partie de la réserve pour le développement national et la croissance économique. Avec sa composition universelle, son mandat unique de maintien de la stabilité monétaire et financière, et en tant que “superviseur” international des politiques macroéconomiques de ses pays membres, le FMI, fort de son expertise, est doté d’un avantage naturel pour agir en tant que gestionnaire des réserves de ses pays membres.
  • La gestion centralisée des réserves de ses pays membres par le Fonds sera une mesure efficace pour promouvoir un rôle accru du DTS en tant que monnaie de réserve. Pour ce faire, le FMI peut mettre en place un fonds ouvert libellé en DTS, basé sur la pratique du marché, permettant la souscription et le remboursement dans les monnaies de réserve existantes par divers investisseurs, selon les besoins. Cet arrangement permettra non seulement de promouvoir le développement des actifs libellés en DTS, mais aussi de gérer partiellement les liquidités sous la forme des monnaies de réserve existantes. Il peut même jeter les bases d’une augmentation de l’allocation du DTS[6] afin de remplacer progressivement les monnaies de réserve existantes par le DTS.

[1] Référence BIS review 41/2009, notes et traduction : Hubert Rodarie

[2] Celle de 2008-2009 (NdT)

[3] Robert Triffin, économiste belge, a repéré dans un ouvrage en 1960, l’incompatibilité entre les impératifs de bonne gestion d’une monnaie fiduciaire nationale et son rôle international. Cette incompatibilité a été qualifiée de dilemme ou de paradoxe. Il a fondé notamment sur cette incompatibilité ses prévisions de fin inéluctable du Système de Bretton Woods qui organisait alors ce double rôle du dollar américain.

[4] Harry Dexter White (1892-1948) collaborateur de Morgenthau auteur du plan américain imposé à Bretton Woods.

[5] Lors de la dernière revue (achevée en novembre 2015), le conseil d’administration du FMI a conclu que le renminbi chinois (RMB) remplissait les critères d’inclusion dans le panier du DTS. À la suite de cette décision, à compter du 1er octobre 2016, le renminbi a rejoint le dollar américain, l’euro, le yen japonais et la livre sterling dans le panier du DTS, et le rendement de référence à trois mois des obligations du Trésor chinois a été intégré au panier de détermination du taux d’intérêt du DTS.

[6] Le 2 août 2021, le conseil des gouverneurs du FMI a approuvé une allocation générale de DTS équivalant à 650 milliards de dollars (environ 456 milliards de DTS, soit 2,5 fois le montant total des allocations précédentes), en vue d’accroître les liquidités dans le monde. Cette allocation de DTS, la plus vaste dans l’histoire du FMI (à compter du 23 août 2021), répond au besoin mondial de réserves à long terme, contribue à instaurer la confiance, renforce la résilience et la stabilité de l’économie mondiale, et aide les pays manquant de liquidités à faire face aux conséquences de la pandémie de COVID-19. (NdT source FMI)

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