Les investisseurs face à l’IGE (Inflation,Guerre et Énergie)
Article rédigé à partir d’une chronique parue dans Instit Invest magazine n°22 décembre 2022
En théorie, l’après COVID aurait dû être un retour à un état qualifié de normal. C’est-à-dire une organisation économique proche, ou dans le prolongement, de celle des années passées : avec des échanges internationaux à des niveaux élevés et des relations financières globalisées. Ce retour aurait permis d’engager une transformation maîtrisée pour, d’une part, atteindre des objectifs climatiques et d’autre part relocaliser des productions jugées stratégiques. Mais, hélas, rien n’a marché comme prévu face à trois chocs : l’inflation, la guerre et l’énergie. Leurs effets seront durables et justifieront une nouvelle organisation économique ce qui autorise d’utiliser un nouveau sigle IGE qui résumera la situation dans laquelle les institutions vont agir.
IGE
IGE
Inflation |
Inflation élevée et durable, elle est pénible et lourde de conséquences. Elle justifie l’arrêt des politiques monétaires non conventionnelles. Cela veut dire financièrement, hausse des taux, correction des valeurs des biens réels et des actions, moins-values substantielles des obligations et des créances, mais aussi et surtout, conflits sociaux et de répartition qui bousculent des situations considérées acquises. Des impossibilités surgissent, notamment budgétaires. Comment baisser les dépenses ou augmenter les impôts pour réduire les déficits pour retourner à des situations budgétaires soutenables, alors que le besoin ou la taille des « boucliers » augmente sans cesse ?
Guerre |
Guerre en Europe, elle est encore plus douloureuse que l’inflation. L’Union européenne sanctionne mais les pays principaux à la manœuvre sur le plan militaire, la Grande Bretagne et les Etats-Unis, ne font pas partie de l’Union. Les conséquences sont multiples : géostratégiques, politiques et économiques. Une question émerge, est-ce prudent d’accentuer de cruciales dépendances (terres rares, photovoltaïque…) vis-à-vis de la Chine, apparemment assumées lorsqu’il fut décidé de concentrer la consommation de l’énergie sur l’électricité. Elles se cumuleraient avec celles liées à l’actuelle délocalisation de la production industrielle, et ce, face à la montée de l’hostilité entre les Etats-Unis et la Chine depuis le deuxième mandat d’Obama, qui rappelle l’évolution des relations avec la Russie après la première révolution ukrainienne de Maïdan en 2004 ?
Energie |
Energie, c’est le problème majeur qui resurgit après des décennies d’oubli (relatif). Comparé aux évènements des années 1970, le choc est encore plus violent et plus compliqué avec la coupure par le client lui-même, l’Europe, des relations gazières et le sabotage des gazoducs. Il se cumule avec le marché unique de l’électricité qui se révèle à l’expérience inadapté en cas de chocs. Aujourd’hui, au travers de ce marché, tous les européens et leurs entreprises payent les choix manifestement désastreux de l’Allemagne pour son mix énergétique tout en créant de massifs effets d’aubaines pour certains.
Dans ce contexte, la gestion des portefeuilles des institutions et de tous les détenteurs de patrimoine devient très délicate.
Comment bâtir des portefeuille, et comment choisir des valeurs ?
Quels sont les impacts sur le crédit des entreprises des hausses de coûts, notamment celles insensées de l’énergie mais aussi du résultat des conflits de répartition qu’a déclenché le contexte inflationniste ?
Quelle est la sensibilité des activités à une éventuelle récession à venir qui risque de ressembler plus à celles des années 1990 qu’à celles du début du siècle ?
Plus précisement, quelle sera la résistance des modèles d’activité d’entreprises aujourd’hui perçues comme modérément cycliques à ce que l’on appelait un retournement cyclique c’est à dire une baisse de demande prolongée sur plusieurs exercices,
Comment anticiper l’impact de frais financiers à nouveau substantiels et de potentielles variations de change d’ampleurs rarement vues depuis les années 1980 ?
Quel est le scénario ? évolutions modérées, stagflation ou pire ?
Actuellement les “mauvais scénarios” présentés sont inspirés par l’histoire des années 1970. Ce fut une période stagflationniste provoquée par deux chocs de prix sur le pétrole et donc sur l’énergie qui provoquèrent une contraction de la demande mais aussi une augmentation de l’offre qui ont permis au final un retour à des équilibres acceptables.
Mais aujourd’hui l‘ampleur des problèmes qui se dessinent avec ce triptyque IGE n’oblige-t-il pas à réfléchir à d’autres scénarios
En effet, on ne peut pas écarter un fait de la réflexion : la présence d’une dette globale massive.
Cette dette constitue la différence majeure entre les deux situations .
Dans les années 1970, l’ensemble des agents économiques publics et privés européens étaient globalement faiblement endettés. Seuls les Etats-Unis ont atteint des taux d’endettement global de l’ordre de 150% du PIB. En revanche aujourd’hui la plupart des pays ont des endettements globaux de l’ordre 350 % du PIB.
Une chute de l’activité pourrait-elle être combattue par les mêmes moyens que lors des précédents contractions : c’est à dire injections massives de liquidités et baisse des taux ?
On peut en douter.
Dans un tel cadre, le scénario qu’il faut à nouveau considérer serait la classique dépression déflationniste, où l’excès de dettes provoque une spirale, faillite, baisse de la demande, appauvrissement généralisée, bien décrite par Fisher,
L’histoire nous a appris que c’est un scénario très pénible et dont la sortie est à tout le moins compliquée.
Pour tous ceux qui investissement à long terme, investisseurs structurels, institutionnels, ou détenteurs de patrimoine, et qui cherchent à pérenniser et à faire prospérer leurs avoirs, les réponses sont difficiles à exprimer. et ce d’autant plus que la pertinence des choix sera très dépendante de décisions structurantes mais difficilement anticipables car les autorités politiques les prendront surtout sous la contrainte des événements.
A tous ces sujet majeurs, s’ajoute une autre question méthodologique, quelle est la validité des calculs de performances anticipées et de risques, calés sur des données issues d’années de politiques monétaires très favorables ?
Et, last but not least, pour les Institutions en particulier elles-mêmes, quelles seront les conséquences de la perte de la valeur réelle de leurs réserves et provisions ?
Vastes questions, certes, mais on peut être convaincu que la condition de pérennité de chacun sera la solidité de son modèles appuyé sur l’attachement de ses ayants droits ou clients ainsi que de sa capacité à penser à long terme et donc à sortir des consensus un peu trop unanimes marqués par le souci exclusif du présent.