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L’ incertitude

éditorial de la revue trimestrielle de l’Af2i, Association française des Investisseurs Institutionnels n°76 Juin 2025

Le retour de l’incertitude est la conséquence la plus citée pour commenter l’évolution des affaires depuis l’arrivée de Trump au pouvoir. Bien sûr, disons-le tout de suite, ce n’est pas un compliment. Une espèce de litanie emplit alors nos oreilles : incertitude sur les droits de douane, incertitude sur la protection de l’Europe ou d’autre pays par les Etats-Unis, incertitude sur les décisions budgétaires et la croissance, incertitude sur les administrations fédérales et leur solvabilité, incertitude sur les universités et sur les appétits américains pour absorber ses voisins etc. Tout y passe et justifierait un attentisme des acteurs économiques qui devrait se révéler vite problématique.

Nous pouvons répondre à cette question de deux façons. La première est de dire oui, c’est vrai, le président américain n’est plus dans le rôle qu’ont interprété avec plus ou moins de brio ses prédécesseurs depuis la fin de l’empire soviétique : il transgresse sans cesse des règles, des façons de faire ou des usages. Dès lors le scénario bien rodé qui est censé décrire le fonctionnement du monde est perturbé. Quelle sera la suite ? Que faire dans ce contexte. L’incertitude est dorénavant la règle. Pire, on apprend dernièrement que tous les pouvoirs de la présidence américaine, en fait, ne sont pas constitutionnels ! Mais qui décide alors ? Les Etats-Unis et leur bicamérisme ont-ils pour modèle l’Italie ? Oui, l’incertitude est devenue totale.

La seconde façon est de répondre par une autre question : ce qui est présenté comme un retour est-ce vraiment un retour ? Ces dernières années, bien que les Américains qualifient cette période de grande modération (the Great Moderation), la croissance, l’évolution du monde étaient-elles aussi maitrisées que cela ? Rien n’est moins sûr. On peut, en effet, soutenir que l’incertitude ressentie aujourd’hui tient moins aux actions désordonnées qu’à une vision plus réaliste des situations jusque-là masquées par une sorte de théâtre. Paradoxalement, l’apparent désordre de l’administration Trump ne pourrait être qu’une réponse à des phénomènes et tendances insoutenables qui permettraient d’affirmer que les administrations Biden (Obama, Bush…) faisaient « danser au-dessus d’un volcan » l’Amérique et le monde. On peut ainsi citer : l’augmentation incessante des dettes de toutes natures dans le monde qui sont plus de 50% plus élevées qu’après la crise de 2008, la pérennité de déséquilibre des échanges commerciaux : cette année l’excédent chinois bat encore des records, etc. Non ce n’est pas un retour

Mon propos ne sera pas de départager entre ces deux réponses. Le débat reste ouvert. Mais je voudrais saisir cette occasion pour pointer le fait que l’incertitude n’est pas, a priori, un mal, car l’incertitude est d’abord une réalité que tous, individuellement et collectivement, nous affrontons dans vos vies personnelles, professionnelles et sociales. L’incertitude est au cœur des existences, sans incertitude il n’y a pas d’espoirs, il n’y a pas de projets pour les combler or nous en faisons sans cesse, et les aventures, que nous vivons parfois, n’en seraient pas. Sans incertitude la responsabilité est sans fondement, l’engagement et tout ce qui fait le sel des vies seraient donc anecdotiques.

Si cette incertitude existe, elle est multiple, elle a différentes natures. On peut même dire que la réduction de l’incertitude est en fait le but du travail et de la connaissance, mais elle n’empêche pas d’agir résolument. Notre monde financier est confronté à cette incertitude, et tout particulièrement les institutionnels qui pratiquent l’investissement à long terme. Ces dernières années, le contrôle des organisations et la notion du risque et de sa mesure ont été déployés pour réduire cette incertitude. A l’Af2i nous avons été au cœur de cette transformation. Toutefois ayant appliqué avec détermination les prescriptions, nous avons aussi attiré l’attention sur les limites de la démarche devenue réglementaire, non seulement en analysant la qualité des modèles sous-jacent, mais aussi en pointant notamment ses conséquences sur la complexité, la rigidification et la focalisation mimétique des intervenants.

Souhaitons alors que cette incertitude ainsi réintroduite dans l’espace médiatique et social soit l’occasion pour chacun de réfléchir et de s’interroger sur la pertinence de ses choix.

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