Dix-neuf propositions pour le long terme
Constatant que depuis trois ans des changements radicaux sont intervenus, l’Af2i, par la voix d’Hubert Rodarie et d’Henri Chaffiotte, formule des propositions pour répondre au nouveau contexte économique et réintroduire le temps long dans les décisions d’investissement.
Tribune publiée le 2 févr. 2023 à 9:00 dans le Journal Les Echos sous la signature Par Henri Chaffiotte (Vice-Président de l’Af2i ), Hubert Rodarie (Président de l’Af2i)
L’Af2i, association qui regroupe 82 investisseurs institutionnels gérant environ 3.000 milliards d’euros, fait à l’occasion de ses voeux 19 propositions pour le long terme. Leur objectif : gérer mieux les équilibres macroéconomiques, favoriser l’industrie à valeur ajoutée, favoriser l’investissement de long terme et mieux aligner les intérêts des différents acteurs, épargnants, investisseurs et dirigeants, notamment.
Citons, à l’heure du débat sur les retraites, quelques-unes des mesures proposées : une part de capitalisation pour tous ; l’alignement sur les résultats de long terme des rémunérations variables ; la création de FCPR Long terme (20 ans) accessibles au plus grand nombre…
Pourquoi une telle démarche ? Les membres de l’association sont au cœur des dispositifs de stabilisation des sociétés européennes (assurance, prévoyance, retraite, fonds de pension et fonds publics). Ils ont la pratique du long terme, et de fait, la raison d’être qu’ils ont donnée à l’Af2i est : « Placer le long terme dans les dispositifs sociaux, économiques et financiers. »
Une transformation radicale
Or, ils font le constat que depuis trois ans des changements radicaux sont survenus.
Changements radicaux ? Oui, car tout est bouleversé aujourd’hui après plus de vingt ans de stabilisation d’un ordre économique fondé sur l’extension des échanges internationaux avec un cadre juridique, l’OMC, une stabilité des changes, une alimentation régulière de l’économie et des marchés en liquidités par des banques centrales bien coordonnées. En effet, les conséquences des différentes crises depuis deux ans ne permettent plus d’envisager la pérennité d’une telle organisation condamnée à des transformations substantielles.
Car les objectifs et les moyens seront différents. Toutes les conséquences de cette transformation radicale ne sont pas encore ressenties, même si certains en voient les prémices. Si l’histoire ne se répète pas, mais « repasse souvent les plats », quel est le « menu » aujourd’hui ? Sur fond de danger climatique, des rivalités géostratégiques pouvant aller jusqu’au conflit armé, un retour généralisé aux notions de souveraineté ou d’indépendance stratégiques, voire de privilège national justifiant des lois (IRA américain) ou des plans de soutien divers contraires aux règles de l’OMC, un réarmement général, une crédibilisation d’un retour à la concurrence entre les monnaies, et, au final, une fragmentation de l’espace politique, économique et financier.
L’échec de l’instantanéisme
L’Europe, qui s’est voulu un espace ouvert, le plus conforme à cet universalisme, a été active pour promouvoir un espace unique contre les « égoïsmes nationaux » et ouvert au monde, elle est donc particulièrement affectée par cette nouvelle donne.
Avec ces propositions sont réaffirmées notamment : la nécessité d’une planification claire des grandes infrastructures et notamment de l’énergie conforme aux besoins, abondante et à prix stable et raisonnable ; l’allègement du carcan des réglementations prudentielles sur l’investissement à long terme ; la facilitation du jeu de la mutualisation ; le développement des fonds d’investissement à long terme ; l’alignement de la rémunération des dirigeants sur l’atteinte d’objectifs et de stratégies à long terme.
Mais toutes ces propositions tendent donc à réintroduire le temps long dans les dispositifs, macro, réglementaires ou des pratiques professionnelles financières marqués depuis trente ans par l’introduction de l’instantanéisme, et son dessein prométhéen de vouloir capter la réalité de l’espace et du temps dans une mesure unique et un référentiel unique, le marché. Cet instantanéisme échoue aujourd’hui à traduire la complexité du monde et ses évolutions très incertaines. Voici donc venu le moment de réintroduire le temps de l’investissement long et de la mutualisation, le temps de la production et de la création de valeurs ajoutées tangibles, celles qui ne s’évaporent pas en quelques séances de Bourse.