Trump face à la Fed est-il original ?
chronique parue dans le journal Option Finance de Mai 2025
La presse et les commentateurs s’élèvent devant les provocations du président Trump face au Gouverneur de la Fed, Jay Powell. Ce serait une transgression, une grande première, insupportable, et qui détruirait une indépendance défendue par la loi, essentielle au fonctionnement de l’économie et à la prospérité des Américains.
Adoptons un point de vue américain pour juger ces pressions exercées avec deux questions :
La première question serait : y a-t-il un précédent ? Car les Etats-Unis étant un pays de juristes, le précédent est « souverain » s’il on en trouve un qui fut admis, il justifierait à lui seul les interventions suivantes de l’exécutif, ce qui fondamental par delà la forme employée.
La seconde question : pourquoi la Fed doit-elle être indépendante du pouvoir politique ou dit autrement : Fed qui t’a fait reine de l’économie, comment et pourquoi ?
Pour répondre à la première question, il ne faut pas remonter loin dans le temps pour repérer une initiative législative ou un président contrant les décisions du Conseil des gouverneurs du système fédéral de réserve et qui n’a suscité aucune protestation.
On peut choisir par exemple le Président Clinton. En juin 1999 la Fed présidée alors par Alan Greenspan avait décidé une hausse des taux. Cette décision, prise en toute indépendance, devait faire augmenter l‘ensemble des taux. Or Lawrence Summers le secrétaire du Trésor américain a annoncé dès le 5 août 1999 le rachat d’obligations du Trésor, une première dans l’histoire américaine, en la justifiant par l’excédent du budget. L’effet attendus de ces rachats était une baisse des taux rendant inefficace de facto la décision de la Fed. Ce qui fut observé. Était-ce un hasard ? Evidemment non. La Fed a donc bien été bloquée sciemment pour éviter le ralentissement économique jugé préjudiciable par l’administration Clinton. Pourtant il n’y a pas eu de commentaires sur cette atteinte caractérisée à l’indépendance prévue par la loi. C’est donc un précédent non contesté de l’intervention efficace de l’exécutif contre une décision de la Fed.
Pour la deuxième question on rappellera que l’indépendance de la Fed est une conséquence de l’installation à partir des années 1960 d’un dispositif voulu autorégulé pour gérer la création monétaire aux Etats-Unis afin de le soustraire au pouvoir discrétionnaire du politique. L’autorégulation nécessite notamment une instance pour valider ce que produit le dispositif, et décider d’éventuelles mesures techniques de correction (feed-back). C’est la Fed qui fut choisie à cet effet. Son indépendance est donc liée au caractère technique de ses diagnostics, et surtout à la prévisibilité du résultat de ses décisions techniques fondées sur des modèles justifiés scientifiquement, les actions ayant été préalablement définies dans un cadre accepté et donc qualifié de conventionnel. La Fed fut donc une reine nommée par la science aux pouvoirs constitutifs d’un dispositif technico-scientifique. Or la reine, elle-même, a transgressé le cadre conventionnel de ses pouvoirs notamment en adoptant de façon durable (de 2008 à 2025) des politiques qu’elle a appelées, justement, non conventionnelles. Un juriste pourrait donc valablement dire que, même en l’absence de contestation, la reine, pardon la Fed, a donc perdu de facto, sinon de jure, toute capacité de revendiquer une indépendance acquise au titre d’un cadre conventionnel qu’elle n’a pas elle-même respecté.
Aussi de façon très synthétique on peut dire que la Fed bénéfice aujourd’hui d’une indépendance plus formelle que réelle car, depuis près de trente ans, ses capacités ont été soit bloquées soit détournées pour une action hors du cadre qui justifiait cette indépendance. Comme souvent la façade demeure car l’indépendance est utile parfois pour endosser la responsabilité d’actions que le pouvoir politique aurait du mal à assumer, tels qu’en 2008, les transferts massifs de capitaux aux entités privées défaillantes, et ce, sans réelle contrepartie, financière ou de gouvernance.
Comme souvent, au yeux du plus grand nombre, les dysfonctionnements des organisations humaines sont révélés plus par les effets des chocs que par les meilleures des analyses. L’administration Trump est dans cette logique brutale de révélation.