Politiques monétaires: «Le temps du courage est venu»
Publié le 13/12/2019 à 20:52, mis à jour le 13/12/2019 à 20:52 sur FIGAROVOX https://www.lefigaro.fr/vox/economie/politiques-monetaires-le-temps-du-courage-est-venu-20191213
Si Mme Lagarde s’est, dans son premier discours, inscrite dans la continuité de M. Draghi. Elle a toutefois annoncé une revue stratégique de la politique monétaire. Elle aura fort à faire car les oppositions sous-jacentes s’expriment maintenant au grand jour. La situation est préoccupante: la croissance est insuffisante, nettement inférieure à celle des États Unis, les dettes s’accumulent toujours, les trappes à liquidité se multiplient, l’investissement est médiocre, les résultats des entreprises baissent ; et malgré la baisse du chômage le mécontentement populaire persiste, réduisant la légitimité de toutes les autorités techniques et politiques, etc.
Le sentiment d’un nihilisme institutionnel se répand au nom duquel il ne faut surtout rien faire pour ne pas déclencher pire.
Comme son prédécesseur Mme Lagarde a appelé à plus de souplesse budgétaire. Mais, il est vraisemblable que ce n’est pas une stimulation supplémentaire de la demande par «l’hélicoptère monétaire» ou une politique budgétaire encore plus expansionniste qui changera grand-chose. Le Japon, dans un contexte différent certes, a expérimenté que la croissance n’a jamais été soutenue durablement par un quelconque plan de relance. Appeler une mesure à l’efficacité ô combien incertaine n’est pas rassurant.
Le mot qui revient le plus souvent est celui d’impasse. Il est clair, que, politiques ou économistes, personne aujourd’hui n’est suffisamment crédible pour définir un projet. Entre les scientifiques empêtrés dans leurs modèles, les chefs d’État aux majorités instables ou divisées, le sentiment d’un nihilisme institutionnel se répand au nom duquel il ne faut surtout rien faire pour ne pas déclencher pire que ce qui semble probable le monde vit sous l’emprise de la maxime d’Henri Queuille «Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout».
Il ne faut pas craindre de changer de système.
Que faut-il faire alors? Il est pour une fois utile, et urgent, de réfléchir résolument «en dehors de la boîte». Être audacieux car l’économie globale risque malgré ses éminentes réussites passées d’imploser sous le mécontentement populaire. Les pistes d’action existent. Mais il ne faut pas craindre de changer de système car il faut trouver de nouveaux degrés de liberté en redonnant des capacités d’action à certains acteurs aujourd’hui bloqués dans le cadre institutionnel actuel.
Pour répondre aux besoins des populations les objectifs des décisions à prendre doivent coupler des mesures structurelles d’ordre financier et des décisions de réorganisation des activités économiques. Ces objectifs devraient avoir pour but, d’une part, de reprendre dans chaque zone monétaire le contrôle de la dette et de la création monétaire, et, d’autre part, d’y relancer l’activité par une relocalisation de l’activité de production de biens aisément reproductibles pour réinsuffler de solides capacités de création de valeur ajoutée qui sont la base d’une croissance et d’une consommation saine et durable.
Le premier point est d’adapter le système de la création monétaire aux conditions actuelles. Depuis 50 ans la création monétaire est faite au travers de deux grands acteurs: les états et les banques. Les premiers créent de la monnaie par leur déficit, les secondes par le crédit. Le tout est piloté de façon technique et non politique par le Banquier appelé justement Central car de façon très simple, il agit avec deux outils et deux seulement: le prix de la monnaie par son taux directeur, et la quantité de monnaie par des achats ou vente de titres publics. Mais tout a une fin, la machine est grippée, les leviers sont détendus: ce dispositif n’est plus à même de donner des impulsions pertinentes à l’économie ; nous l’expérimentons chaque jour, la stagnation domine.
Pour adapter ce système de création monétaire il faut restructurer les dettes publiques c’est-à-dire annuler a minima la dette publique détenue par les banques centrales, sans acter de perte et donc sans détruire de la monnaie; il faut pour cela rompre temporairement des conventions comptables. C’est possible: on devra dire alors que c’est une gestion comptable non conventionnelle, car il ne faudra pas utiliser les écritures comptables habituelles. En zone Euro, il y aura un problème supplémentaire, il faudra décider s’il ne faut pas annuler plus de dettes pour les pays les plus endettés. Il faudra protéger la valeur de l’abondance de liquidité disponible ainsi actée de façon définitive, -elle n’a pas créé de l’inflation-, mais sans l’augmenter. Il faudra la faire travailler: la maîtrise de la création monétaire par le prix n’étant plus possible, un certain contrôle quantitatif devra être installé.
Il faudrait introduire résolument les critères environnementaux et climatiques.
En deuxième étape il faudra faire remonter les taux de rendement des titres privés et publics à moyen et long terme en transférant progressivement les interventions monétaires des banques centrales sur les titres courts à émettre par les états (ce que fait déjà la FED), tout en cédant les portefeuilles de titres privés détenus par la banque centrale et de fait, arrêter la participation directe des banques centrales au financement des agents privés non financiers. Dans une telle perspective une idée pour faciliter la transition vers des taux d’emprunt plus élevés serait de resolliciter des établissements du type des caisses d’épargne, rémunérant ce qui serait bien identifié comme l’épargne liquide des ménages – sans vocation de création monétaire- dont les emplois encadrés et orientés vers des investissements productifs seraient couverts strictement par les dépôts collectés. Cela passe par une garantie publique des dépôts. Cette création créera un nouveau type de banques à côté du modèle aujourd’hui dominant de banque universelle.
Toujours de l’audace, pour atteindre le deuxième objectif de relance de l’activité, il faudrait introduire résolument les critères environnementaux et climatiques dans la justification rationnelle des chaines de production devenues globales et rapprocher les lieux de production et de consommation. L’analyse des conditions de concurrence et la formation des prix des biens doivent intégrer cette dimension écologique qui suscite une véritable adhésion des populations. Des achats obligatoires de droits rendant compte des transports utilisés ou de l’écart des contraintes destinées à préserver l’environnement pourraient être introduits. Il est certain que la relocalisation de l’activité de production de biens aisément productibles serait facilitée et dans un objectif résolument bénéfique pour tous en rétablissant des conditions de concurrences plus équilibrées. Cette démarche n’implique pas nécessairement un retour en arrière des activités, mais elle protège aussi la localisation d’activités issues d’innovation. Elle sera vraisemblablement facilitée par la tendance actuelle de découplage des activités entre grandes zones économiques.
Pour Mario Draghi, le temps de l’audace fut la situation de 2012 quand l’Italie et l’Espagne glissaient hors de l’euro. Pour Mme Lagarde, c’est encore davantage le temps de l’audace mais aussi du courage car ce qu’elle doit engager est une mutation plus profonde encore, mais qui paraît inévitable. Souhaitons qu’elle n’ait pas besoin comme Mario Draghi d’une nouvelle crise pour l’entreprendre. En effet, il est de l’intérêt de tous de ne pas attendre pour s’engager sur ces pistes d’action de peur que leur nécessité ne justifie l’apparition, ici où là, de Bonaparte qui pourraient s’avérer bien plus coûteux ou douloureux que ces audaces.