ESGGestion financière

De la responsabilisation individuelle des acteurs

Article paru dans Instit Invest n°21 Avril 2022

Lorsque l’on aborde le sujet de l’ESG, vient tout naturellement le problème de l’information qui est le matériau de base de l’analyse. Cette information par définition est ou devrait être construite comme une agrégation de données pertinentes au regard des points que l’on veut analyser. Très vite intervient donc le sujet de la forme à donner à cette construction, doit-on privilégier le quantitatif, absolu ou relatif ou le qualitatif ?

C’est la démarche suivie depuis plusieurs années par divers intervenants pour élaborer des cadres d’analyses, voire des comptabilisations, qui intègrent pas à pas aussi bien des situations internes que des grilles externes, résultats de consensus sur la façon de traiter tel ou tel sujet. Par exemple, pour le suivi des objectifs climatiques un certain nombre d’acteurs ont mis au point des méthodologies pour mesurer la « température des portefeuilles » ou plus exactement la contribution des sociétés détenues dans les portefeuilles à l’atteinte des objectifs climatiques.

Toutefois lorsqu’on parle d’ESG les sujets sont multiples et les angles d’analyses encore plus nombreux. La tendance aujourd’hui, notamment pour essayer de se garder de ce qu’il est commun d’appeler le greenwashing, est de recourir à des notations, labels et autre validations externes et standardisées. Or, de fait, ce fut une démarche identique qui a été historiquement suivie pour l’analyse financière. Quels enseignements utiles pour l’ESG peut-on tirer donc de cette expérience ?

Au départ, principalement avis d’experts, l’analyse financière reposait sur des informations patiemment peaufinées puis normalisées aussi bien par les comptables que par les régulateurs. Il faut se rappeler à cet égard le rôle de la SEC américaine dès sa création en 1933/1934. Et puis survint la notation à la fin des années 1970, puis les benchmarks avec la généralisation de la théorie financière. Cette « standardisation du jugement » a certes permis d’assumer la croissance des encours mais elle a touché ses limites au cours de différentes crises, à tel point que, par exemple, après celle de 2008, la Banque des règlements Internationaux, elle-même, souhaitait réduire le poids de l’usage des notations dans le pilotage des banques. Pourquoi voulait-elle réduire ces outils et pratiques ? Les professionnels le savent et en font l’expérience. Lorsqu’ils existent et qu’ils sont promus pour le suivi des risques, et par les régulateurs, la tendance est forte de s’en remettre totalement à ces outils et d’en faire le seul fondement des appréciations.

Les principaux inconvénients sont alors 1) une déresponsabilisation de l’acteur économique qui ne cherche plus à valider les analyses par une implication personnelle et 2) une incitation à un comportement grégaire procyclique qui peut être désastreux à terme pour l’épargnant.

Il est à craindre que, si la gestion ESG suit cette même démarche, elle a de fortes chances de buter sur les mêmes écueils et de décevoir régulièrement tout comme a déçu cette même démarche en gestion financière. Ainsi sur le dossier ORPEA, il est facile de critiquer après coup, mais on pourrait se poser collectivement la question : dans l’ensemble des personnes qui ont regardé la notation ESG d’ORPEA, est-il vraisemblable que personne n’ait eu un proche, un parent accueilli dans un Ehpad, ou a minima la curiosité d’en visiter un pour se faire une idée personnelle ? Cette démarche personnelle encouragée collectivement n’aurait-elle pas donné des signaux d’alerte ? Pourquoi attendre les investigations d’une équipe de journalistes ?

En outre, si les objectifs et la volonté d’avancer en matière d’ESG sont clairs, en revanche les moyens pour y parvenir ne sont pas encore stabilisés. Dès lors une trop rapide normalisation, peut être actuellement considérée comme prématurée. Là également un espace de liberté doit être laissé aux gérants et aux investisseurs pour être en mesure d’exercer leurs intelligences, leurs responsabilités et leurs métiers.  

C’est en s’appuyant sur ces constats et expériences que l’Af2i rappelle régulièrement, et encore récemment auprès des candidats à l’élection présidentielle, que la liberté et la responsabilité des acteurs sont indispensables pour s’assurer de l’adaptabilité et de la résilience des organisations à long terme pour traiter ces sujets de risques financiers et extra financiers.

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