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Un contexte de plus en plus inédit

(Article paru dans Instit Invest Novembre 2020)

En général, nous évoluons entre deux attitudes. Dans la première nous pensons que nous vivons une époque formidable marquée par l’optimisme et la foi dans l’amélioration des conditions de vie de tous par le progrès technique. La seconde nous montre toutes les limites de ce qui est vécu. On écoute ceux qui décrivent l’utopie devenue dystopie. Certains se complaisent alors à en décrire la fin. Ils pensent faire œuvre de science en pratiquant ce qu’ils appellent la collapsologie.

Gérer dans un contexte inédit - Mes Employés

Nous basculons actuellement de l’une à l’autre de ces attitudes car les temps sont difficiles. L’épidémie a frappé. Les activités humaines, économiques, sociales, familiales et amicales sont à nouveau bloquées. Le mécontentement s’étend. Le sentiment que le système actuel n’est plus adapté s’installe dans tous les esprits.

En matière financière pourtant rien n’apparait. Les actions et l’immobilier sont au plus haut, les taux sont au plus bas et les primes de risques sont toutes écrasées. Les autorités se félicitent de la solidité des institutions qu’elles surveillent. Le Conseil pour la Stabilité financière (FSB) est satisfait de l’efficacité de son travail depuis 2008 pour renforcer les fonds propres des banques comme on peut le lire dans son « holistique review » du 17 novembre 2020. La Banque centrale parle d’économie verte. Tous sont apparemment en plein décalage avec les conditions vécues par leurs concitoyens.

Ce contexte est franchement inédit. En général, conditions financières et économiques sont reliées entre elles. Lorsque l’économie souffre, les financiers en pâtissent. Une mauvaise conjoncture aurait dû se lire dans l’évolution au moins des indices. Pourquoi un tel décalage ? Les financiers sont-ils frappés d’incompétence, sont-ils inconscients ou les deux ?

La réponse tout le monde la connait : les banques centrales sont intervenues massivement. Elles ont acheté des actifs financiers, des dettes publiques en Europe, avec en plus des dettes privées aux Etats Unis, voire des actions comme au Japon. Pourtant est-ce suffisant de faire ce constat ?

En fait, il faut aller plus loin dans l’analyse et comprendre les enjeux d’une telle situation. Nous souhaiterions dans ces quelques lignes soutenir que si les marchés fonctionnent apparemment « normalement » ils ont en fait perdu un élément essentiel de leurs rôles institutionnels, celui de révélateur. Ils ne révèlent plus les situations réelles, les anticipations, ou les attentes de leurs participants.

En effet, il faut rappeler que depuis plus de 80 ans les marchés sont une institution de l’ordre économique actuel. Elle a été imaginée et implantée dans l’après-guerre par tout un courant alimenté par von Mises, Hayek, Friedman, etc. Dans quels buts ? Ces économistes voulaient installer une instance de régulation et d’arbitrage entre les besoins de tous pour donner une rationalité voulue scientifique à une organisation économique fondée sur la liberté et l’initiative individuelle. Ils répondaient à la critique faite dans les années 1930 de l’organisation libérale promue auparavant sous le slogan du laissez-faire et qui vivait alors une crise majeure. Aux partisans d’une organisation centrée sur une planification centralisée de l’économie, ils mettaient en avant le marché et la liberté de choix : « free to choose » titrait un livre de Friedman. Ils souhaitaient écarter les décisions discrétionnaires de la puissance publique. Ils voulaient disposer d’un outil pour permettre le calcul économique (von Mises).

Depuis 2008 les banques centrales voulaient éviter une crise majeure car, il fallait éviter les spirales de défaut. Le système d’évaluation montrant l’insolvabilité, il fallait le tordre à tout prix et aider les emprunteurs. Les moyens furent mis. Mais le résultat macroéconomique fut très limité. L’activité est restée médiocre, l’investissement industriel a reculé. L’incitation à la prise de risque a fonctionné mais en alimentant surtout des bulles sur les actifs, hormis aux Etats-Unis avec le financement de l’exploitation pétrolière non conventionnelle. Et depuis 10 ans aucun retour n’a été possible.

La situation actuelle est donc de plus en plus inédite car les investisseurs et les décideurs n’ont plus d’indicateurs fiables pour réduire leur incertitude et évaluer leurs risques. Les modèles de calcul utilisent des données qui dépendent plus de la puissance publique que des intervenants. Avec des taux à zéro ou négatifs le calcul économique pratiqué depuis Leibnitz n’a plus de sens. Malgré le calme des marchés, l’incertitude n’est plus évaluable. Il faut remonter loin dans le temps pour trouver pareille situation.

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