La dette a rendez-vous avec l’inflation, mais où ?
(Article paru dans Instit Invest 2 décembre 2021
Le sujet le plus important aujourd’hui est l’inflation, cette inconnue en Occident depuis les années 1980. Malgré la forte augmentation des crédits c’était la déflation qui menaçait ces dernières années dans un climat de stagnation qualifiée de séculaire.
Pourtant, depuis quelques mois les hausses de prix sont apparues, transitoires disait-on, mais elles persistent. On parle donc d’une inflation plus durable que prévue, on évoque le futur dilemme des Banques centrales : faut-il augmenter les taux et casser la croissance un peu flageolante après une phase de reprise ? On anticipe de futures hausses d’impôts pour faire face aux coûts de la dette déjà trop lourde. Certains ajoutent son influence sur le nécessaire financement des transitions de toutes sortes et les dévalorisations d’investissements non conformes aux impératifs climatiques etc. Enfin, d’autres doutent de l’efficacité des banques centrales dans ce rendez vous avec l’inflation, comme elles furent impuissantes depuis 2008 à recréer les conditions de la croissance.
Il faut donc avouer que l’avenir est franchement incertain alors que tout avait été fait pour redonner de la visibilité après le choc Covid.
Après avoir promu la finance durable, comment affronter l’inflation durable ?
Pour les institutionnels cette question est centrale. Les réglementations, la gestion ALM, le besoin de revenus récurrents etc., ont fait maintenir, malgré la forte baisse des taux et même les rendements négatifs, des investissements massifs en produits de taux sous toutes les formes : obligations d’état, ou de corporates, dettes privées, prêts, cotés et non cotés, qui atteignent au total 75% des bilans[1]. Mais tous les actifs, hélas, seront affectés par l’évolution aussi bien de l’inflation que des hausses des taux éventuelles. Les scénarios économiques utilisés pour le calcul avec S2 des fonds propres déjà déstabilisés par la survenance de taux négatifs vont à nouveau être pris à défaut dans des évolutions non anticipées.
Or, penser une telle situation est très difficile tant les variables sont multiples. Sans risque d’erreurs importantes, on ne peut plus faire des raisonnements partiels en invoquant le « toutes choses étant égales par ailleurs » qui sous tend pourtant la plupart des raisonnements économico-financiers.
Alors que faire ? Nous proposons trois observations.
Tout d’abord il faut considérer que l’inflation est une notion floue, difficile à définir, phénomène monétaire, ensemble de hausses de prix etc. La façon de la mesurer diffère selon les pays. Le panier de consommation de biens et de services qui sert de référence n’est pas le même, les correctifs varient. Sa survenance étonne toujours les contemporains : excès de demande ou pénurie d’offre. Ses conséquences dépendent du contexte de l’économie, mature, sous développée, ou en reconstruction. En conséquence, il est inutile de trop raisonner sur l’inflation en elle-même pour guider les réflexions.
La deuxième observation est que l’inflation, est souvent liée à une déstabilisation d’un ordre économique et donc d’une échelle de revenu. Ce n’est pas seulement la destruction de la rente et des rentiers c’est aussi une remise en cause de relations dans la société, avec, comme toujours, des gagnants et des perdants. Les institutions font d’ailleurs souvent partie des perdants. Et cette remise en cause sociale n’est pas propice à la stabilité politique. Dans un tel contexte, il faut donc guetter ce qui est fondamental à savoir les capacités de production de richesse et de valeur ajoutée. Les actifs qui en génèrent auront les moyens d’adapter leurs modèles économiques. Il s’agit donc de suivre ces capacités et ceux qui en bénéficient.
La troisième observation est liée à la valeur. Cette valeur a été mise au cœur des dispositifs comptables et prudentiels ainsi que sociaux pour organiser le partage des richesses produites. Or la pertinence ou la détermination de cette valeur dans un régime de hausse de prix durable est franchement problématique. Son évolution n’est donc pas un bon guide pour les décisions dans un tel contexte. Il faut introduire un autre critère : le cash flow. Paradoxalement c’est le seul guide stable dans un contexte où les autres points de référence sont remis en cause par les hausses de prix et l’évolution de l’échelle des revenus. Les institutionnels, guidés par leur besoin de revenus financiers, sont déjà sensibles à cet aspect.
Au total, si l’inflation s’invite dans le monde de la dette, les modes de raisonnements devront évoluer et s’adapter, ainsi que les réglementations qui devront les y aider.
[1] Source Enquête Af2i 2021