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Les IFRS, regards d’un institutionnel

(texte d’une intervention Colloque CERCES 29 avril 2022 [1])

Vous m‘avez demandé de vous partager l’expérience d’un multi-utilisateur de ces normes.

En effet, plus de 30 ans, j’ai été utilisateur des normes comptables, tout d’abord dans les entreprises que j’ai animées pour rendre compte, ou comme investisseur et analyste financier pour rendre réelles à partir des chiffres, les entreprises étudiées, leurs forces, leurs faiblesses et leurs potentiels.

En effet, mon parcours a été celui d’un scientifique, ingénieur, dirigeant d’entreprise, investisseur au départ pour compte de tiers (Asset-Manager), puis investisseur institutionnel (Asset-Owner). Ce qui a nécessité de pratiquer l’analyse macroéconomique, financière, etc.

En matière d’investissement, par goût et par nécessité, je suis intervenu sur toutes les classes d’actifs, les produits de taux, bien sûr obligations d’état ou d’entreprises, les actions cotées et non cotées, les dérivés de toutes sortes, ainsi que l’immobilier.

Pour ce faire, depuis le milieu des années 1985, j’ai regardé beaucoup de jeux de comptes et de reportings de toutes natures.

De même, pour me conformer à la réglementation Solvabilité 2 du secteur des assurances, j’ai approfondi les représentations utilisées des actifs/passifs et des modèles imposés dorénavant par la réglementation. Avec nos équipes nous avons même élaboré un modèle interne des actifs utilisant d’autres modèles que ceux de la directive.

Tous ces regards, quelques fois successifs souvent simultanés, m’ont donc mis dans la situation d’observateur des normes financières notamment comptables et prudentielles. Cette expérience m’a incité à comprendre les concepts structurants de ces normes. Cette observation m’a aussi rendu attentif aux conditions d’émergence de ces concepts qui sont à la base des textes normatifs.

Il fallait également suivre leurs évolutions et, dans une certaine mesure, anticiper les effets sur le comportement des professionnels non seulement comptables mais surtout dirigeants, politiques, commentateurs et autres ainsi que l’effet de ces normes sur les constructions sociales.

C’est donc en utilisateur que je vais vous décrire comment j’ai perçu ces normes IFRS à leur arrivée et vues en action. Et comment je les ai vues structurer non seulement notre vision des activités économiques mais surtout nos actions et organisations.

Je voudrais donc aborder ce thème en 4 points :

  • Point n°1 : Le Conceptual Framework de l’IASB
  • Point n°2 : L’évaluation à la « juste valeur ».
  • Point n°3 : D’où viennent les IFRS et qui a apporté les IFRS ?
  • Point n°4 : Les inconvénients des IFRS.

Point n°1 Le Conceptual Framework de l’IASB

Les IFRS reposent sur un ensemble de concepts théoriquement bien identifiés. Ils ont été rédigés sous la forme d’un « cadre conceptuel » ou conceptual framework[2]adopté en 1989. Réaffirmé en 2001 avant l’adoption de l’IASB comme normalisateur comptable européen, ce cadre conceptuel a été modifié en 2010 et en 2018.

Dans sa version initiale, et même si certaines atténuations ont été faites depuis, plusieurs points sont apparus centraux et restent déterminants :

  • Destinataire privilégié des états financiers :  l’investisseur (principalement vu comme un trader soucieux de savoir à tout moment comment et à quel prix il peut acheter ou vendre sa participation)
  • Universalité des normes pour tous les secteurs d’activité et pour tous les pays,
  • Domination de la substance sur la forme : on doit rendre compte du fait économique sans se préoccuper de sa forme juridique. (Le droit, les processus, les conventions ou les organisations, les business models s’effacent devant l’économie)
  • Rôle central donné à l’évaluation avec l’introduction du « principe de la fair value »

La conséquence de ce « conceptual framework », outre l’introduction de principes spécifiques, réside dans le fait que les normalisateurs ont voulu ainsi structurer et donner une cohérence à l’ensemble de leurs normes.

L’IASB a donc une démarche principalement constructiviste qui se veut rationnelle et systématique.

Pour l’organisation générale européenne, l’IASB est ainsi devenue une « Autorité épistémique[3] » c’est-à-dire une institution surplombante, autogérée, dont les avis « rationnels » s’imposent et ce, sans contrôle du politique, contrairement à son homologue US, le FASB, soumis au Sénat américain.

Et de fait, dans cette démarche le pragmatisme et l’expérience ne sont pris en compte, principalement, qu’à l’occasion de crises et encore que de façon marginale car les modifications doivent rester cohérentes avec le cadre conceptuel, et ce, malgré l’observation des dysfonctionnements. En 2003, avant la décision de la délégation par l’Union Européenne de sa capacité de définir les nomes comptables à l’IASB, les débats et oppositions à cette décision ont permis des amodiations de l’IFRS 9, devenue après IFRS 39. De même, la crise de 2008 a conduit notamment à stopper une démarche de « Full fair value » promue par ailleurs par le FASB américain et au débranchement de quelques dispositifs de valorisation systématique des actifs. Malgré des rapports très défavorables, notamment celui du Groupe des 30[4] (Group of Thirty) qui, en 2009, pointe le principe de la juste valeur comme raison de l’instabilité financière, ni l’IASB, ni le FASB n’ont changé véritablement leur fusil d’épaule et ont maintenu leurs choix initiaux actés dans le conceptual framework, dans la ligne de leur nature d’autorité épistémique.

Point n°2 :  L’évaluation à la « juste valeur ».

Les IFRS font de ce mode d’évaluation « le nouveau principe général d’enregistrement des transactions. »[5].

Conséquence : la comptabilité est devenue principalement évaluative.

La question n°1 que l’on peut se poser :  est-ce une conséquence de la modernité et de l’extension de la mesurabilité, des choses et des phénomènes, permise par le développement notamment des moyens informatiques de calcul et de celui des connaissances ?

La réponse est non. La comptabilité évaluative est presque aussi vieille que les sociétés anonymes. (Soit le début du XIXème siècle)

Stephen A. Zeff[6], un historien américain de la comptabilité, a relevé que ce sont les juristes français qui, au milieu du XIXème siècle, ont promu cette attitude d’incorporer dans la comptabilité des sociétés des éléments de valorisation pour améliorer la vision de l’entreprise.

Toutefois cette tendance a peu prospéré en Europe continentale. En effet, le poids des prêteurs notamment bancaires a conduit à maintenir une pratique comptable restrictive visant à donner une image la plus sécurisée de l’emprunteur, axée principalement sur les flux[7]. De fait, les réévaluations d’actifs ont été limitées (en France ou en Allemagne). Souvent, même, les actifs étaient pris en compte en valeur liquidative et non au coût historique amorti.

En revanche, le développement de la Bourse aux Etats Unis a facilité une démarche inverse où la pratique d’incorporer des réévaluations d’actifs aux résultats éventuellement distribuables a été validée par plusieurs jugements et notamment un arrêt de la cour suprême en 1898 : Smyth vs Ames.

Mais cette pratique s’est renversée à 180° après la crise de 1929. Ce fut une des premières décisions prises en 1935 de la toute nouvelle SEC américaine.

Il faut alors citer le rôle éminent dans cette décision de Robert E. HEALY[8], le premier commissionner de la SEC en charge de la comptabilité.

Healy a exprimé, jusqu’à sa mort, et donc la fin de son mandat, en 1947, le rejet de la comptabilité évaluative il disait par exemple que « je pense que le but de la comptabilité est de compter non pas d’évaluer » ou encore « je pense que la fonction adéquate de la comptabilité est de faire un enregistrement historique des évènements comme ils sont survenus » Après de telles citations, il est compréhensible que Healy ait été aussi soigneusement oublié.

Pourquoi une telle conviction ? Il faut savoir qu’Healy était un juriste républicain, non suspect de compromission avec les démocrates américains alors accusés d’esprit anti-entreprise. Après la crise de 1929, il a présidé jusqu’en 1934 une très longue enquête de la FTC, commission fédérale du commerce, sur les causes de la crise de 1929 et de la brutalité du choc boursier. Outre les problèmes de comportements, il a jugé comme centrales dans l’explication de la bulle boursière et du krach, les pratiques d’incorporation de plus-values latentes dans les résultats, qui avaient un effet cumulatif ; la hausse des prix d’actifs qui augmentaient le résultat qui justifiait une hausse des cours…  

Dès lors, en plus de l’interdiction des réévaluations, pour réduire les risques Macro, toutes les entreprises des secteurs où cet effet risquait de se produire ont été fragmentées. Ainsi, ce fut fait pour le secteur bancaire avec le fameux Glass Steagall Act abrogé en 1999 par la loi de modernisation des service financiers (Gramm-Leach-Bliley Act).

Pour le secteur des holdings de services publics (Distribution et production d’eau et d’électricité, etc.) particulièrement lourds en immobilisations, ce fut l’objet du moins célèbre PUHC Act (Public utility holding compagny Act) en 1935 qui a imposé, comme pour le secteur bancaire, la sectorisation géographique et la spécialisation des activités de ces holdings. Cette loi fut abrogée en 2005.

Cette doctrine spécifique de la SEC a été maintenue sans modification majeure jusque dans les années 1970, où l’évaluation a été réintroduite grâce au FASB, nouvellement créé (1973), face à la nécessité de réévaluer les bilans dans le contexte inflationniste de l’époque et surtout après la nomination d’un chieff accouting de la SEC qui n’avait pas connu les années 1930…

La question n°2, comment a-t-on justifié l’introduction de la « fair value » ?

C’est une question vaste sur le plan universitaire qui, outre sa définition même, mobilise la théorie de l’agence et la théorie de l’efficience des marchés (HEM). Je me concentrerai que sur la seconde.

Cette théorie a été établie au prix d’hypothèses fortes, atomicité du marché, rationalité des acteurs, notamment. Elle suppose que les marchés sont complets, en concurrence parfaite, que les prix de marché intègrent toute l’information disponible et accessible à coût raisonnable. On démontre alors qu’ils permettent de donner ce que l’on appelle une valeur fondamentale de l’actif, à un bruit statistique près. Le risque étant assimilée à cet écart entre le prix constaté et cette valeur fondamentale.

Dans un de mes ouvrages[9], j’ai qualifié cette HEM comme une des principales idées toxiques de notre monde. Pour le professionnel, il est clair que l’HEM est une fiction. En effet, le professionnel observe que bien souvent les conditions de son application ne sont pas observées : concentration des acteurs (extrême dans le cas des matières premières) ou biais systématiques officiels lorsque les marchés sont sous l’emprise des politiques de quantitative easing (QE). Ou cachés par agrégation temporaire (réactions collectives) ou même frauduleux avec par exemple des trucages à grande échelle (scandales du LIBOR). Mais, jusqu’à présent, rien ne vient entamer la croyance dans le rôle central du marché comme divinité suprême qui dit le vrai. Pour parodier le discours de Pétain, écrit par Emmanuel Berl, on dirait que, dans cette conception, seul le Marché ne ment pas.

Pourquoi cette fiction est-elle maintenue ?

De mon point de vue, la raison de ce maintien est que cette HEM permet une assimilation du prix de marché à une estimation avérée de la valeur, cette « fair value » mise au centre du dispositif comptable et prudentiel qui de facto existe alors et est reconnue comme telle dans l’espace social, de façon officielle, par un phénomène classique de performation alors qu’elle n’aurait pu alors rester qu’un concept.

Dès lors, de façon un peu paradoxale, on peut montrer que cette assimilation permet de créer une certitude. En effet, le marché, contrairement à l’apparence, fabrique du certain en réduisant le rôle du temps à celui de la transaction nécessairement très court. De fait la HEM permet d’écarter le temps, lieu certes du projet et de l’espoir mais surtout de l’incertitude[10]. L’immédiat est toujours certain, le futur est toujours incertain.

La certitude créée par cette croyance est très forte au point que le professionnel a le sentiment de faire face à un mur devant la certitude du comptable et de l’auditeur sur la qualité de l’évaluation par les prix de marché. Alors que cet investisseur, lui, en connait la qualité toute relative.

Dans ce cadre créé par la HEM, le risque, vu comme l’écart entre la valeur fondamentale et le prix de marché, devient alors mesurable et calculable, par l’usage de modèles mathématiques principalement gaussiens ou quetelésiens (hypothèse de Bachelier (1900), formules de Black & Scholes..). Ces modélisations, on le sait, décrivent une réalité lisse, réversible et sans rupture ni à coups. Elles n’intègrent pas les discontinuités, les ruptures, les krachs et les bulles qui surviennent pourtant régulièrement et qui sont, en réalité, les sources principales de ce que le commun des mortels appelle le risque. Alors que ces discontinuités marquent le temps et traduisent l’irréversibilité des évolutions économiques.

De fait, loin d’être une expression de la modernité, nos systèmes de gestions financières, comptables et prudentielles sont inscrits de facto dans une vision restrictive et déterministe de la réalité qui fut dominante à la fin du XIXème siècle en physique mais qui fut dépassée par la physique quantique dans les années suivantes.

On notera que la complexité des modèles et l’appareil mathématique vont justifier la création d’une nouvelle activité économique importante entre actuaires et professionnels du chiffre, auditeurs et informaticiens. Les effectifs de consultants et des équipes de reportings, de contrôle ont donc grossi de façon, à mon avis, démesurée, eu égard à l’utilité réelle de ces chiffres soigneusement produits. On pourrait dire que toutes ces équipes et tous ces appareillages sont une occasion de business fructueux. Mais surtout de notre point de vue l’ensemble de ces équipes pèsent lourd dans les débats et freinent les capacités d’évolution.

Point n°3 : d’où viennent les IFRS et qui a apporté les IFRS ?

Très brièvement, on rappellera que l’ancêtre de l’IASB fut l’IASC.

L’IASC a été créé en 1973 sous l’impulsion des Britanniques. En effet, à cette époque ils souhaitaient s’opposer à une tentative continentale de normalisation comptable initiée au début des années 1970. Ils réussirent leur manœuvre.

La même année le FASB américain avait été créé en remplacement de l’APB (Accounting Principles Board) et du Comité de la procédure comptable de l’Institut américain des comptables publics certifiés. C’est donc ensemble que l’IASC et le FASB ont travaillé. Ils avaient beaucoup de participants en commun issus des grands cabinets d’audit, les Big Eight devenus par la suite, les Big four. IOSCO l’association des régulateurs Bourses, par ailleurs dominés par les américains, a poussé à l’harmonisation pour faciliter la cotation des sociétés. L’IASC a été relancée à la fin des années 1980, avec l’adoption du conceptual framework en 1989 et une conversion à la fair value en parallèle à ce qui s’est passé aux Etats-Unis, qui a été actée par un accord avec le FASB en 1998.

L’IASB est venu succéder à l’IASC en 2001. De fait, on peut dire que l’IASC, puis l’IASB, a concouru à transplanter le cadre conceptuel américain dans la vision des marchés et des pratiques professionnelles et à implanter une culture de risque spécifique. Certes, il n’y a pas identité des normes. Le FASB, après avoir un temps étudié une convergence des US GAAP avec les normes IFRS, a finalement abandonné ce projet. Mais le cadre conceptuel lui est le même et c’est lui qui est déterminant dans les effets de ces normes.

Point n°4 : les inconvénients des IFRS[11]

Nous avons relevé plus haut quelques caractéristiques :

  • Des reportings centrés sur l’investisseur, même si l’IASB s’en défend en mettant en avant d’autres utilisateurs des états financiers, il n’en demeure pas moins que l’investisseur pris au sens très étroit d’acheteur d’actifs est plus particulièrement ciblé. Le prêteur, le salarié, les autres parties prenantes de l’entreprise, l’entreprise elle-même ne sont pas réellement pris en considération. Ce qui pose bien évidemment des problèmes si on souhaite trouver autre chose dans les comptes. L’adaptabilité des référentiels actuels est clairement bloquée pour intégrer d’autres objectifs.
  • Une norme universelle identique pour tous les secteurs cela a pour inconvénient de rencontrer des difficultés pour rendre compte de façon adéquate de modèles d’activités spécifiques[12] ; et tout particulièrement, on peut citer les sociétés où les flux d’activité sont faibles face aux variations potentielles du prix des actifs par exemple le premier l’immobilier, et le second les activités d’assurance.
  • Axer le travail de comptabilisation sur la valorisation a plusieurs inconvénients :
  1. Le premier est l’accentuation de la volatilité des résultats en fonction de celle du marché, sujet bien commenté dans la littérature[13].
  2. Cette volatilité excessive a été jugée responsable de la crise de 2007 par le Forum pour la Stabilité financière, le FSF[14]. Cette volatilité potentiellement excessive a motivé dans le plan Paulson (2008) la capacité donnée à la SEC de suspendre l’application de la juste valeur.
  3. Le deuxième est la disparition de la prudence au sens le plus courant dans les états financiers.La prudence dans les IFRS peut être définie comme l’usage pertinent des dispositifs et hypothèses ou données utilisées pour l’évaluation. En revanche, dans le langage courant, la prudence est de se garder des marges de manœuvre. En comptabilité cela se traduisait par des amortissements plus forts et des provisions de lissage. Dans les deux cas ces pratiques sont condamnées ou très contraintes dans les IFRS.
  4. Le troisième est la disparition du suivi du cash. Dans les premières normes IFRS, on expliquait gravement que seul comptait le suivi de l’évolution des évaluations successives de l’entreprise. Or, pour un analyste, le suivi du cash et de sa transformation est essentiel pour comprendre et suivre ce qu’apporte l’exploitation de l’entreprise. Les réformes ultérieures des IFRS ont amélioré ce point. [Toutefois, je relèverai que dans les conventions classiques européennes l’importance du cash était d’autant plus primordiale que ces conventions étant agnostiques sur les valorisations, le cash, qui lui avait une valeur certaine, jouait d’une certaine façon le rôle pivot que tient l’actif valorisé à la fair value dans le dispositif IFRS. On perçoit ainsi le renversement des concepts.]
  5. La fiabilité est plus hasardeuse compte tenu de la complexité de la mise en œuvre. En effet, les modèles, les paramètres, les hypothèses… se multiplient et la référence affichée à un marché, dans certains cas, n’existe plus[15]. De ce point de vue l’application de l’IFRS 17 pour l’appréciation des contrats d’assurance est monstrueuse de complexité et son coût est très important.
  6. La complexité et le déséquilibre entre les variations de valeurs et l’activité de l’entreprise ont motivé des reportings spécifiques non comptables et, paradoxe encore, non régulés. C’est le cas des sociétés immobilières qui ont défini leur propre standard de reportings de leurs activités sous l’égide de leur organisation professionnelle l’EPRA[16], et qui reprend une analyse classique de transformations des flux de loyers, en investissements, charges, etc. et enfin en bénéfices.
  • Le transfert de la compétence européenne politique à un organisme privé :

Les inconvénients sont principalement à deux niveaux.

  1. Le premier niveau sont les conséquences de la création de ce que nous avons qualifié plus haut d’institution d’une Autorité épistémique. Détentrice d’un savoir (épistémique), elle est très difficilement contestable. On a donc une sanctuarisation d’un corps de doctrine et donc une rigidification de l’organisation qui est d’autant plus préjudiciable que le corps social aurait conscience des insuffisances ou aurait d’autres buts que ceux de maximiser la valeur actionnariale. La création de ce bloc épistémique alimenté par une communauté de professionnels intéressés financièrement à sa pérennité crée ainsi ce sentiment de faire face à des murs indépassables.
  2. Le deuxième niveau est que ce type de dispositif accroit l’influence des grandes sociétés d’audit d’origine américaine, qui ont alimenté et qui alimente cette organisation. Cette présence dominante ne va pas évidemment dans le sens du développement d’un modèle européen.


En conclusion,

si on peut dire que, souvent, quelque soit le référentiel comptable, une bonne société est toujours une bonne société, il n’en demeure pas moins que le choix d’un référentiel comptable est crucial dans la détermination du comportement de l’entreprise par rapport à ses différentes parties prenantes et à son environnement.

L’exemple de l’IFRS/IASB est à ce titre très clair. Le dispositif IFRS/IASB en retirant le choix des normes de l’espace de la délibération facilite ce que Polanyi a appelé, le désencastrement des entreprises de la société humaine.

La transformation de l’IASB comme Autorité épistémique bloque actuellement toute tentative de combattre ce désencastrement, elle agit comme la mise en place d’une gaine isolante face aux interrogations de la société, pour reprendre une image employée par un auteur[17] pour qualifier l’objectif du néolibéralisme d’isoler les activités économiques du politique.

L’impact du dispositif IASB/IFRS, est d’autant plus crucial que les entreprises les plus sensibles aux conventions introduites par les IFRS sont les entreprises qui détiennent les montants d’actifs financiers ou matériels les plus importants et dont les variations de valeurs peuvent être disproportionnées au regard des flux opérationnels. Les insuffisances de la modélisation et des normes comptables sont donc alors cruciales car elles ont été, sont et seront centrales dans la genèse de crises économiques et financières de nature purement endogènes, à rebours de leurs objectifs, hélas.


[1] Intervention de l’auteur lors d’un colloque organisé par l’association CERCES vendredi 29 avril 2022 dont le thème était : « Normalisation extra-financière. Lancement de l’ISSB et nomination d’Emmanuel Faber à sa tête : avenir, développement, conception et géopolitique de la normalisation extra-financière à l’international »l

[2] Le Conceptual framework dans sa version 2018 est accessible sur le site IFRS

[3] Voir par exemple Vanel, Grégory, in Walter, Christian (sous la direction), Nouvelles normes financières, s’organiser face à la crise, Springer2010.,

[4] G30, Financial reform: a framework for financial stability 2009 recommendation n°12.sur le site.

[5] Chiapello, Eve 2005

[6] Voir par exemple, l’article de Zeff Stephen : The SEC rules historical cost accounting 1934 to 1970’s, 2007 Encyclopedia Universalis.  

[7] On retrouve cette attitude, aujourd’hui encore, en France dans la façon du secteur bancaire d’instruire les dossiers de prêts immobiliers au particulier, en recherchant la capacité de remboursement par les revenus de l’emprunteur. Et ce, de façon divergente des Etats-Unis, par exemple, qui axe la protection de l’emprunteur sur l’hypothèque et la capacité de revente du bien en cas de défaillance. Attitude systématisée dans la possibilité d’emprunter pour d’autres motifs qu’une acquisition immobilière en accordant une hypothèque sur ses biens immobiliers. Attitude étudiée par la FED voir par exemple,  Greenspan, Alan & Kennedy, James  Estimates of Home Mortgage Originations, Repayments, and Debt On One-to-Four-Family Residences, 2005, Working Paper de la  Federal Reserve, et 2008, Oxford-Review-of-Economic-Policy 24(1):120-144

[8] Rodarie, Hubert, Dettes et monnaies de singe, Salvator, 2nd édition 2011

[9] Rodarie, Hubert, La pente despotique de l’économie mondiale, Salvator 2015, p 317

[10] Voir par exemple page 314 in Rodarie, Hubert, La pente despotique de l’économie mondiale, Salvator 2015

[11] Nota Bene : dans la liste suivante, les points relevés qui expriment le diagnostic de l’auteur ont fait pour certains l’objet de débats, et ont été, bien sûr, contestés par l’IFRS et ses partisans. La présentation de leurs arguments n’entrait pas dans le propos de la présente intervention.

[12] Cet argument a été développé et soutenu par l’ANC, Autorité des normes comptables française en 2013.

[13] Voir, par exemple, FTC rapport de Healy déjà cité 1934, ou Schiller, RJ, Market volatility MIT Press, 1989, etc.

[14] FSF, Forum pour la stabilité financière, créé en 1999 par le G7 est devenu en 2009 le FSB, Financial Stability Board.

[15] Cas des actifs ou passifs évalués avec des modèles dont aucun paramètre n’a une référence à un marché.

[16] EPRA, European Public Real Estate, voir leur site www.epra.com

[17] Quinn Slobodian, in Les Globalistes Seuil 2022

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